TRIBUNE DE GHALEB BENCHEIKH : Faire émerger un islam de beauté, d'intelligence et de progrès, arrimé à la République
Tribune de Ghaleb Bencheikh, président de la fondation Islam de France, publiée par nos confrères de Challenges.fr, le 2 juin 2021. C'est dans le cadre de notre volonté d'informer le plus et le mieux nos auditeurs et lecteurs sur des sujets et thèmes qui les concernent en premier lieu que nous avons demandé à Ghaleb Bencheikh l'autorisation de publier son plaidoyer. Il l'a accepté bien volontiers. Nous publions ladite tribune dans son intégralité, à l'exception du titre qui a été modifié et choisi par la rédaction de francemaghreb2.fr
Publié : 5 juin 2021 à 17h00 par Tribune de Ghaleb Benchikh
Tout a été dit sur tout mais comme personne n’écoute, il est nécessaire de répéter. Cette parole d’André Gide s’applique parfaitement au sujet « islam ». Il s’est vu affubler de tous les adjectifs et associé à nombre de concepts pour discuter de son acceptabilité, polariser son orientation ou signifier son implication dans divers univers politico-idéologiques. « Islam moderne », « islam des lumières » ou « islam traditionnaliste », « islam rigoriste ou radical », « islam réformé ou encore libéral ».
En dépit d’un travail considérable entrepris par des islamologues et des intellectuels, l’incompréhension perdure et les imprécisions, voire les mensonges pullulent et continuent de semer le trouble. Ce travail est certainement insuffisant au regard du besoin, et lorsque nous y ajoutons la peur générée par l’idéologie djihadiste et l’effroi de son action violente, nous comprenons mieux la cristallisation des hantises et la montée persistante des angoisses liées au fait islamique. Cet état de fait est aggravé par l’incurie organique qui caractérise l’islam de France et l’opacité de son financement. L’autonomisation de l’islam de France requiert un financement pérenne et transparent pour animer sa vie cultuelle et culturelle.
Musulmans de France : sociographie et territoires
Le rapport rendu public par l’Institut Montaigne en 2016 « pour un islam français » et l’édition récente de l’Université Populaire de la FIF ont mis en avant les données démographiques suivantes : les citoyens musulmans représentent 10% de la population française. Cette composante de la nation est essentiellement jeune.
La proportion augmente localement en raison de la forte concentration des citoyens musulmans dans des Régions comme les Hauts-de-France, l’Ile de France, Rhône- Alpes-Auvergne ou l’arc méditerranéen. C’est donc une sociographie pyramidale, inverse de celle de la totalité de la population française.
La concentration territoriale induit une sur-représentation des musulmans dans quelques villes et territoires, pouvant aller jusqu’à 50% voire davantage dans les quartiers dits « prioritaires » dans la sémantique administrative. Ainsi, la disparité de la proportion islamique dans la population selon les territoires vient-elle s’additionner aux distorsions caractéristiques de l’islam, à commencer par son financement.
L’argent du culte et le culte de l’argent
La représentation et la gestion du culte islamique sont un sujet fondamental pour les musulmans et pour les pouvoirs publics. Ceux-ci sont fondés à avoir un interlocuteur légitime, probe et sérieux. La majorité des fédérations composant le CFCM est liée à des puissances étrangères. Elles ont pour vocation première de préserver les intérêts stratégiques de ces Etats. Cette ingérence nuit à l’émergence d’un islam français autonome. Elle porte atteinte à la souveraineté nationale. Les fédérations reçoivent des aides financières des gouvernements étrangers estimées à 12 millions d’euros.
Tandis que le CFCM dispose d’un budget quasi inexistant pour assurer son fonctionnement. Il ressort de cette situation que l’islam de France souffre d’une crise d’identité aggravée par une carence structurelle de moyens. Aux multiples conflits de gouvernance s’ajoute une défiance totale des musulmans de France vis-à-vis du système en place.
Et pourtant, s’agissant de la construction des mosquées, ce sont essentiellement les fidèles qui les financent aux 9/10ème. Ils font preuve d’une grande générosité, en dépit de leurs revenus souvent limités. Il y a les dons réguliers, souvent mensualisés, en échange d’un droit de regard sur les orientations de la mosquée au travers du conseil d’administration ; il y a le produit de la quête lors de la prière du vendredi et les dons consentis pendant le mois de Ramadan. Forts de cette solidarité, les musulmans de France ont pallié le manque de lieux de culte. Ils ont réglé la question épineuse des prières de rue, au centre de multiples polémiques. Toutefois des collectes
« sauvages », opaques aussi bien en termes de commanditaires que de destination des dons, persistent. Elles sont condamnables et la vigilance est de rigueur. Enfin, les autres sources de financement de l’islam de France ont trait aux certifications halal, au pèlerinage et aux pompes funèbres. Ces sujets demandent à gagner en transparence des flux, en efficacité des process et en évaluation des résultats
Mécénat : réenchanter la « marque islam »
Les mécénats public et privé sont une source de financement pour le volet culturel de l’islam de France. Pour les acteurs économiques privés, la difficulté de « lever des fonds » sur le sujet « islam » n’est un secret pour personne. Deux raisons principales peuvent expliquer cette difficulté :
- Les entrepreneurs musulmans sont frileux à soutenir financièrement des actions en lien avec le sujet islam par peur d’être perçus comme des communautaristes séparatistes ;
- Les grandes entreprises françaises sont rétives à soutenir des actions éducatives et culturelles en lien avec l’Islam.
En conséquence, bien qu’il ne soit pas dans la vocation de la FIF de vivre exclusivement et indéfiniment des deniers publics, l’engagement financier de l’Etat est indispensable pour vaincre l’inertie de départ et pérenniser les politiques éducatives et culturelles ainsi que les missions régaliennes de l’Etat, dont elle est délégataire.
Le sujet du mécénat demeure cependant ouvert. Il est à approfondir car les entreprises participent aux mutations de la société. L’objectif est de mobiliser ces acteurs économiques pour la cause nationale que représente la lutte contre l’idéologie salafiste. Cela implique le réenchantèlent de la marque « islam de France » qui doit progressivement passer d’« élément exogène inintégrable et menaçant » à « religion de France et patrimoine commun ».
Les fidèles, l’argent et la maison commune
Eu égard au manque de moyens et à l’illisibilité des financements existants, une structuration doit être menée avec audace, vision et détermination. Il s’agit de faire émerger un organe indépendant ou affilié à une organisation légitime, dédié au financement de l’islam de France, tout l’islam de France, avec ses volets cultuel et culturel, éducatif, social, humanitaire et philanthropique. La prise en charge de toutes ces dimensions est d’une importance capitale. Elles permettent d’appliquer la vision programmatique de l’islam de France comme l’édification de l’institut d’islamologie appliquée, la formation des imams et l’accompagnement de la jeunesse notamment sur les réseaux sociaux, première source de l’apprentissage sauvage de la religion.
Cet organe de financement ne pourra être efficace que s’il est fort d’une gouvernance centralisée et unitaire. Il devra gagner la bataille de la légitimité au prix d’une transparence totale, d’une rigueur irréprochable et d’une efficacité tangible.
Les principes fondateurs d’une telle structure de financement ci-après conditionnent le succès de sa réalisation et définissent son champ d’application :
- l’islam de France doit être une maison commune œuvrant au bien commun ;
- deux grands « pavillons » dans cette maison : le culte et la culture ;
- centralisation des moyens au service de la maison commune ;
- transparence absolue des flux et des usages des dons ;
- agrément des acteurs autorisés à collecter les dons ;
- désintérêt des responsables appelés à la gouvernance ;
- sensibilisation et responsabilisation des musulmans de France.
Vers une « banque de l’islam de France »…
Lié structurellement à cette maison commune dont il sert tous les projets, l’organe de financement doit avoir des prérogatives suivantes de collecte et de distribution de dons
dédiés à des projets cultuels et culturels. Un collège consultatif centralisera la gestion des certifications halal, du pèlerinage et des pompes funèbres.
Le succès de la démarche repose sur la volonté faire émerger un islam de beauté, d’intelligence et de progrès, arrimé à la République. C’est le meilleur rempart contre les dérives islamistes. Et, il mettra fin aux déboires de l’islam consulaire et ses psychodrames répétés.
L’élévation spirituelle et l’éthique religieuse islamique ne doivent pas imposer un ordre social séparatiste. L’éducation et la culture en sont les meilleurs antidotes. Elles sont l’écrin dans lequel sera sertie la pratique cultuelle.
Face à un islamisme mondialisé dans ses ramifications, notre réponse doit être globale dans son assise et inclusive pour tous nos concitoyens. Les musulmans ont à entreprendre le chantier de la réparation du présent et de la préparation de l’avenir. C’est le véritable Plan Marshall de l’islam de France. Ce chantier aura pour alliée la riche histoire de l’slam européen mais aussi son présent par la qualité du débat critique. C’est l’honneur de la France de porter ce débat, c’est celui de l’islam de participer de ces nouvelles Lumières. Tout cela requiert la réalisation d’une organisation solide et des moyens financiers pérennes. N’y a-t-il pas là les prémices d’une « banque de l’islam de France » ?