Rwanda-Génocide: L'ombre de la France plane toujours
Le 6 avril 1994 marque un tournant dans l'Histoire du Rwanda. <br /> Le président du pays, Juvénal Habyarimana est assassiné dans un attentat visant l'avion dans lequel il voyageait.
7 avril 2019 à 17h16 par Anadolu Agency
Il s'agit de la première étape qui vise à renverser le pouvoir par un coup d'Etat, et déclenchera le dramatique génocide des Tutsi au Rwanda.
D'après l'ONU, plus de 800.000 personnes ont perdu la vie entre le 7 avril 1994 et le mois de juillet de la même année, victimes d'un véritable massacre.
La France, gouvernée à l'époque par le président François Mitterrand, est soupçonnée d'avoir joué un rôle en soutenant le génocide des Tutsi, mais ne reconnaîtra des "erreurs politiques" qu'en 2007, tout en niant son implication.
Il faudra d'ailleurs attendre 1998, pour qu'une "mission d'information parlementaire sur le Rwanda" ne soit diligentée pour éclaircir le rôle de Paris et son degré de participation.
Cette initiative fait en réalité suite à la parution d'un article, la même année, dans le quotidien français Le Figaro et qui tend à démontrer que la France a pu, malgré ses dénégations, contribuer à ce massacre.
Le Sénat belge a, d'ailleurs, élaboré un rapport paru fin 1998, mettant en lumière des "dysfonctionnements institutionnels" et des "erreurs d'appréciation".
"La France a des obligations par rapport à son devoir de vérité, son devoir de mémoire. Elle doit prendre en compte les allégations portées sur son propre rôle. Nous demandons la dé-classification de tous les documents sur la période qui précède et qui suit le génocide", a expliqué début janvier François Ngarambe, ambassadeur du Rwanda à Genève, cité par Jeune Afrique.
Les faits sont clairs, les Rwandais, veulent connaître le rôle de la France dans le génocide de sa minorité Tutsi et veulent avoir accès aux documents classés par Paris et qui seraient susceptibles d'éclaircir le pays sur les potentiels soutiens, qu'ils soient actifs ou passifs dont ont pu bénéficier les auteurs du massacre.
En juin 2017 déjà, une demande formelle a été adressée au Conseil des droits de l'homme à Paris par le CPCR (Collectif des parties civiles pour le Rwanda).
L'association réclame, sans relâche, un "examen minutieux du rôle de la France et de son refus de reconnaître ses responsabilités".
Elle précise par le biais de son président, Alain Gauthier, que "dans la requête que nous avons formulée auprès des Nations-unies, nous dénoncions le refus systématique d’extrader vers le Rwanda les personnes suspectées d’avoir participé au génocide, alors que les procédures ouvertes en France, dans leur immense majorité, n’ont pas débouché pas sur un procès", rapporte Jeune Afrique.
Le 17 janvier 2018 ce sont pas moins de six pays, qui ont rejoint le Rwanda dans cette quête de vérité, en réclamant lors d'une cession consacrée à la France, la dé-classification des documents portants sur le génocide rwandais.
Ainsi, la Namibie, Israël, l'Iran, le Guyana, le Kenya et le Mozambique se sont attelés à réclamer la mise en lumière de ces documents, afin que les protagonistes qui y sont mentionnés puissent être poursuivis par la justice française.
Mais les Etats ne sont pas seuls à faire cette demande.
Le chercheur François Graner, accompagné de Thomas Borrel, membre de l'association "survie", ont déposé ensemble le 13 décembre 2017, une clef devant l'Institut François Mitterrand.
Cette action hautement symbolique visait à réclamer, là-aussi, la dé-classification des documents concernant le génocide des Tutsi au Rwanda pour pouvoir déterminer clairement le rôle qu' a pu être celui de l'ancien président François Mitterrand.
Auteur de nombreux ouvrages concernant cet épisode dramatique de l'Histoire africaine, François Graner a indiqué "nous saisissons la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH). C'est une manière démocratique et normale d'essayer de faire évoluer les choses".
En avril 2015, à l'occasion des commémorations du 21ème anniversaire du début du génocide rwandais, la France avait donné son accord pour déclassifier les documents qui concernant la période 1990 et 1995.
Les associations se sont heurtées à une décision de justice, conforme à un texte de loi du code du patrimoine et qui protège les archives présidentielles pendant 25 ans après le décès du chef de l'Etat.
François Mitterrand étant décédé en 1996, les textes français ne permettent d'avoir accès aux archives qu'à compter de 2021 comme le souligne le site d'information Voa Afrique.
Début 2018, comme pour apaiser les tensions entre les deux pays, une source diplomatique française indiquait, toutefois, aux médias africains que : "un travail de dé-classification est en cours" et affirmait que "les informations rendues nécessaires par les procédures judiciaires" sont communiquées aux magistrats concernés" par les enquêtes qui visent à éclaircir les rôles de chacun dans ce génocide.
Pour l'heure, une trentaine de procédures pénales ont été diligentées par Paris à l'encontre de potentiels suspects ayant participé à ce génocide.
Trois peines ont déjà été prononcées à l'encontre de Pascal Simbikangwa, ancien officier du renseignement rwandais, condamné à 25 ans de prison en 2016, et Octavien Ngenzi et Tito Barahira, condamnés tous les deux à perpétuité pour avoir participé au génocide, alors qu'ils étaient bourgmestres.
Quelques mois après l'élection du président français actuel, Emmanuel Macron, le gouvernement Rwandais a relancé Paris, fin octobre 2017 pour obtenir enfin la dé-classification tant attendue.
Interrogée par le journal Le Monde, la cheffe de la diplomatie rwandaise, Louise Mushikiwago a expliqué que "certains responsables français qui étaient les soutiens d’un régime qui a commis un génocide, et qui essaient depuis vingt-trois ans de cacher leurs traces, de brouiller les pistes" ajoutant que "Nous attendons de la France qu’elle prenne ses responsabilités. Ce n’est pas à coup de faux procès, de faux rapports qu’elle le fera. Nous, Rwandais, avons dû nous confronter à nous-mêmes, c’est au tour de la France de le faire".
Jusqu'à présent, Emmanuel Macron s'est attelé à renforcer ses relations diplomatiques avec les dirigeants africains. Reste à savoir s'il accèdera aux demandes des militants et des dirigeants rwandais dans son devoir de transparence et de mémoire collective.