Le colonel Chérif Cadi : l’engagement d’une vie au service de l’Islam et de la République
Retour sur le parcours du premier polytechnicien et de l'un des plus hauts gradés indigènes au temps de l'empire colonial français.
28 janvier 2019 à 21h46 par France Maghreb 2
Mais Terre d’Islam, tu n’es pas la seule dans mon cœur car tu as une sœur chérie ; la Terre de France écrit Chérif Cadi dans son livre Terres d’Islam mettant ainsi en lumière à la fois son attachement à sa croyance religieuse et son affection pour sa patrie d’adoption : la France
Car qui mieux que le premier polytechnicien musulman de l’armée française pouvait le plus appréhender les présupposés et les conséquences de cet amour cumulatif et pour l’Islam et pour la République. Il s’agit ici de retracer le parcours de ce futur officier musulman servant dans l’armée française.
Le jeune Chérif cadi nait le 27 Octobre 1867 à Souk Arhas dans l’est de l’Algérie, la ville qui vit naitre saint Augustin il y a quelques deux millénaires. Issu d’une grande famille de marabout et de guerrier d’origine hilalienne, le jeune Chérif Cadi perd son père puis sa mère avant d’être recueilli par son oncle.
Il débute dès lors sa scolarité à Souk Arhas en étudiant dans une école coranique jusque l’âge de 12 ans puis effectue son primaire et son secondaire à Constantine. En 1884 il fait partie des 8 élèves indigènes obtenant un baccalauréat Scientifique.
Dès lors , il demande sa naturalisation et effectue ses études au prestigieux Collège d’Alger en s’inscrivant en maths sup puis en maths spé. Le 4 octobre 1887 il devient le premier indigène algérien à être admis à Polytechnique, faisant ainsi partie de « cette cuvée de bon citoyens que la science a fortement armé pour le service la patrie, de sa défense et pour sa gloire » comme l’écrit si bien Sadi Carnot. Sa naturalisation intervient le 12 Septembre 89 et il fait ajouter le prénom Yves à son état civil. Ayant réussi son cursus à polytechnique il se spécialise au sein de l’école d’Application de l’artillerie.
Il est promu Lieutenant le 1er Octobre à Toul et demande ensuite à intégrer le XIX° Armée. Lorsqu’éclate l’Affaire Dreyfus, le premier polytechnicien musulman apporte tout son soutien au capitaine faisant preuve d’une réelle solidarité envers son frère d'arme juif et cela en rupture totale vis-à-vis de sa hiérarchie militaire et de l’antisémitisme ambiant des antidreyfusards. Ce soutien lui apparut tout naturel tant l'injustice et le rejet de la différence, présente dans cette France du début de XXème siècle, unissait dans une communauté de destin le capitaine Dreyfus et le Lieutenant Cadi.
Entre le 8 Mars et le 29 Avril 1905 une mission d’espionnage de la plus haute importance lui est confiée par l’Armée française. Il doit se rendre en Allemagne et ,déguisé en marchand de tapis, il scrute et observe les progrès de l’artillerie allemande.
La mission est un véritable succès, les militaires prussiens en exercice n’imaginant aucun instant que ce marchand de tapis enturbanné et parlant l’arabe est un officier de l’armée française laissant ainsi tout le loisir au commandant Cadi de fournir de données précieuse à L’état-major de l’Armée.
Affecté ensuite à Bizerte il met en place les premiers bataillons mixtes panachant les troupes indigènes et françaises. La réussite et les résultats obtenus par ces premiers bataillons mixtes ont un tel écho que la formule fut reprise telle quelle lors la première guerre mondiale. Il est nommé chef d’escadron en 1913.
Durant la première guerre mondiale la valeur de cet homme trouve pleinement à s’exprimer. Il arrive dès septembre 1914 à paris où il est affecté à l’artillerie lourde d’abord dans la capitale puis sur le poste avancé de Champigny. Il s’illustre lors des fameuses batailles de la Somme en 1915 et de Verdun en 1916 ou son courage, son sang-froid et son charisme sont salués autant par ces hommes que par ses supérieures.
Conscient de tous ses efforts, de sa loyauté et de son courage, l’armée lui octroie une permission en 1916. Et c'est pendant ce repos bien mérité que lui est confié la mission d'accompagner Laurence d'Arabie dans le Hedjaz (Voir article Les musulmans dans la mission du Hedjaz durant la 1GM) en péninsule Arabique dès le mois d'Aout 1916.
En effet, les fameux accords Sykes-Picot, signé le 16 Mai 1916 délimite les zones d'influence de la France et de la Grande Bretagne sur les territoires du Proche et Moyen Orient, préfigurant ainsi le dépècement de l'Empire ottoman.
Pour ce faire, la décision est prise à Paris d'envoyer un corps d'expédition composés essentiellement d'officiers et de troupes musulmanes afin d’accompagner les pèlerins pour la Mecque. Ainsi sont-ils environ 1000 pèlerins issus de tout l'empire colonial à pouvoir prendre part au départ de l'expédition le 23 Aout 1916. Ils arrivent le 15 Septembre dans le Hedjaz.
Les buts de cette mission sont multiples. Il s'agit à la fois de rencontrer et de nouer des alliances avec le shérif Hussein de la Mecque et principal ennemi de l’empire ottoman. Cette mission a aussi pour but de permettre la reprise du pèlerinage sous les bons auspices de la République Française et ainsi rasséréner les musulmans dans leur engagement auprès de la France pendant la Première Guerre Mondiale.( Voir article Les musulmans dans la mission du Hedjaz durant la 1GM)
Et le Lieutenant Cadi profite pleinement de cette occasion d'accomplir son devoir de bon musulman; le pèlerinage constituant le cinquième pilier de l'islam. Ainsi, il écrit "Me voici donc tout près du sanctuaire inviolable du Dieu unique" et ne peut que s'émouvoir de fouler la terre de ses lointains ancêtres: les béni Hilal.
Il accomplit aussi parfaitement son devoir de soldat et rencontre dès le 29 Septembre 1916 le Shérif de la Mecque qui le nomme Conseiller militaire. Et pour assurer son autorité dans le Hedjaz La France l'élève au grade de Lieutenant-Colonel au Mois d'Octobre 1916.
Le succès de la mission est total: plus de 1000 pèlerins ont pu effectuer leur pèlerinage et le Shérif de la Mecque est devenu un allié. Mieux, Le Lieutenant-Colonel Cadi jouit d'une forte estime de la part du Shérif Hussein.