Algérie : Commémoration des « massacres du 8 mai 1945 » en attendant les « excuses » de la France
L'Algérie a commémoré mercredi le 74 éme anniversaire des massacres du 08 mai 1945, dans l'attente toujours d'une reconnaissance de l'Etat français.
8 mai 2019 à 22h36 par La rédaction avec Anadolu Agency
Cette commémoration est faite dans un contexte particulier alors que le pays vit depuis le 22 février une contestation inédite et massive du peuple réclamant un changement du système en vigueur depuis l’indépendance du pays en 1962.
Conséquence de cette situation singulière : le Gouvernement qui d’ordinaire célèbre avec faste cette journée a brillé par son absence. Aucun message du président intérimaire, Abdelkader Bensalah, ni aucune activité du premier ministre, Nouredine Bedoui, reclus depuis sa nomination le 11 mars dernier ne sont programmés pour l’heure.
Il ya une année, jour pour jour, Bedoui lui-même, désormais très contesté et dont le départ est réclamé ouvertement par les Algériens, avait présidé de grandes festivités dans la ville de Sétif (270 Km à l’est d’Alger), une des villes, théâtre des événements du 08 Mai 1945.
L’essentiel des activités cette année sont laissées aux collectivités locales et réduites au strict minimum : dépôt de gerbes de fleurs sur les stèles des martyrs et observation d’une minute de silence.
Initiées par la société civile, deux conférences sur ces événements sont, toutefois, prévues à l’université de Guelma (490 km Est d’Alger) et l’autre à Kherrata (320 Km Est).
Pourtant, les massacres du 08 Mai 1945 constituent sans aucun doute l’un des tournants majeurs dans l’histoire de la résistance algérienne face au colonialisme français.
Sortis célébrer la fin de la seconde guerre mondiale et pour appeler la France à tenir ses engagements, à l’appel du mouvement national, des milliers d’Algériens feront face, notamment dans les villes du Constantinois (Sétif, Guelma et Kherrata) à une répression sanglante de la part de l’armée coloniale qui n’avait pas admis le déploiement du drapeau algérien.
Durant plusieurs semaines, l’armée coloniale va recourir à des exactions sommaires pour étouffer la contestation, à des tueries de masse et à des éliminations physiques sans ménagements.
Plusieurs nationalistes seront jetés dans des ravins, comme à Kherrata, réputés pour ses escarpements de montagne vertigineux, tandis que d’autres seront brûlés dans des fours à chaux, notamment à Guelma.
A ce jour, le nombre de victimes est sujet à débat : alors que les historiens français évoquent un chiffre entre 17000 et 30000 victimes, les Algériens l’estime à 45000 victimes.
«C’est une tragédie inexcusable», a admis, pour la première fois, en 2005 lors d’un déplacement à Sétif, l’ancien ambassadeur de France à Alger, Hubert Colin de Verdière.
Malgré l’appel des Algériens à la « reconnaissance » et à des « excuses » sur ce qu’ils qualifient de « crime contre l’humanité », la France officielle, en dépit d’une évolution timide dans le discours, peine à sauter le pas pour admettre sa responsabilité dans les massacres et les crimes commis durant la colonisation.
Si l’ancien président, François Hollande a reconnu en 2012, lors d’une visite à Alger, les «souffrances que la colonisation a infligé» aux algériens et dénoncé un «système (colonial) profondément injuste et brutal», son successeur, Emmanuel Macron a surpris en février 2017, également lors d’une visite en pleine campagne électorale à Alger, en qualifiant le colonialisme de «crime contre l’humanité». Mais sans plus.
Il promet quelques semaines plus tard des «actes forts », qui n’interviendront jamais, à ce jour, en dépit de la pression aussi de certains intellectuels français.
Président de la fondation « 08 Mai 1945 », laquelle s’occupe du travail mémoriel sur la résistance contre le colonialisme, Abdelhamid Senakdji a indiqué mardi que l’association qu’il préside a tenté, à maintes reprises, de soulever le dossier des massacres du 08 mai et d’autres crimes commis par le colonisateur entre 1830 et 1962, à la Commission européenne des Droits de l’homme, avant son dépôt auprès de l’ONU.
«Cette démarche a été entravée par le lobby français infiltré dans les institutions européennes », a-t-il déclaré dans un entretien à l’agence officielle APS.
Le dossier comporte «des faits avérés et des crimes imprescriptibles que doit assumer l’Etat français » et évoque les effets néfastes de la colonisation française, dont les répercussions se font ressentir à nos jours, à l’instar des essais nucléaires dans le Sahara algérien (entre 1960-1966), a-t-il ajouté.
Selakdji a précisé que les indemnisations financières exigées par son association s'élevaient à «4.000 milliards de dollars ».
«L’Etat français pourrait être amené à reconnaître et présenter des excuses pour ses crimes coloniaux en Algérie, pour peu qu'il y ait une forte volonté politique de la part des autorités algériennes de soulever et défendre les deux revendications d’excuses et d’indemnisation », a-t-il encore estimé.
Mais les autorités sont aujourd’hui préoccupées par une sortie de crise alors que la génération qui a mené la guerre est en voie de disparition.
«Le dossier de la mémoire dont dépendent les relations historiques entre l'Algérie à la France, sera résolu à l'avenir grâce à la volonté des deux peuples qui mènent parallèlement des mouvements populaires, même si les objectifs diffèrent », admet Selakdji.