Pour la reprise des cérémonies religieuses, la prudence s’impose
La reprise des célébrations religieuses dans les mosquées doit mieux se préparer pour qu'elle puisse avoir lieu dans les meilleures conditions. Avant de se pencher sur cette reprise, faisons un point sur ce que préconisent les institutions médico-scientifiques sur l'état de nos connaissances sur la pandémie. Les scientifiques déclarent avec humilité que ces connaissances sont à la fois additives c'est dire elles s'acquièrent jour après jour. Elles sont aussi soustractives dans la mesure où la vérité d'hier ne l'est plus forcément aujourd'hui.<br /> <br />
10 mai 2020 à 18h49 par Mohammed MOUSSAOUI, Président du CFCM
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Cet état de fait ne doit pas entamer la confiance que nous devrions avoir dans les avis de nos institutions médico-scientifiques qui restent nos références et nos sources de connaissance sur la nature et les mécanismes de la pandémie. Il doit au contraire nous inciter à l’humilité face à la complexité de la pandémie et à la reconnaissance des efforts déployés par ces institutions pour nous éclairer. Parmi les faits établis :
- Aujourd’hui personne ne peut répondre à la question d’une éventuelle nouvelle vague après le 11 mai 2020 du fait que la méconnaissance du comportement du virus et celui de la population.
- Notre système hospitalier n’est pas en mesure de supporter une deuxième vague et le personnel soignant ne peut résister plus longtemps au rythme épuisant qu’il endure depuis le début de la crise.
- Nous ne sommes pas tous égaux face à l’infection COVID 19. Des facteurs de risques ont été identifiés dont l’âge, l’obésité, les problèmes cardiovasculaires etc...
- Un tiers des personnes qui étaient en contact avec les virus n’ont pas produit forcément des anticorps de protection, et la production de ces anticorps n’annule pas la capacité de transmettre le virus. Celle-ci pourrait persister jusqu’à 45 jours après le contact avec le virus.
- Dans la lutte contre la pandémie, la stratégie qui a fait ses preuves jusqu’à aujourd’hui repose sur trois éléments : La distanciation physique, les gestes barrières et le port du masque.
Enfin, il faut rappeler qu’à ce jour, nous n’avons pour l’instant ni traitement efficace pour le traitement du COVID 19 ni de vaccin.
Les pouvoirs publics ont établi deux grandes étapes de reprise des activités sociales et économiques. La première débute le 11 mai 2020 et s’étale progressivement dans le temps en incluant différents secteurs et en prévoyant des ajustements en fonction de l’évolution sanitaire du pays.
Pendant cette première étape, des discussions entre pouvoirs publics et responsables de culte auront lieu pour définir ensemble, avant fin mai 2020, les conditions d’une reprise des cérémonies religieuses. Cette reprise est prévue pour le 02 juin 2020, début de la deuxième étape également progressive et ajustable en fonction de la situation sanitaire de notre pays.
Dans ce cadre, le culte musulman est amené à faire des propositions concrètes tenant compte de ses spécificités afin de concilier pratique religieuse et préservation de la vie des fidèles.
Bien que la situation des établissements d’enseignement et d’autres lieux recevant du public diffère sensiblement de celle des lieux de culte, certains principes de précaution restent applicables dans tous les cas.
Parmi ces principes il y a la désinfection régulière des lieux des cérémonies et la distanciation physique qui passe par la réduction des effectifs.
Contrairement aux écoles pour lesquelles il est possible d’établir des listes des enfants scolarisés (15 ou 10 par classe), il est difficile de faire autant pour les mosquées. Dès lors, comment maîtriser les effectifs dans l’absence de tout moyen de régulation ? « Premier arrivé, premier servi » n’est certainement pas un moyen envisageable.
La désinfection des lieux après chaque cérémonie implique une restriction des nombres de prières à célébrer par jour et empêcherait le dédoublement des services. Il serait quasiment impossible de désinfecter une mosquée après chacune des cinq prières journalières. L’adoption des tapis de prière individuels ne serait pas une protection suffisante. Les murs et autres surfaces doivent être aussi désinfectés. Quid du coût de cette désinfection et des effets secondaires d’une exposition prolongée des fidèles aux produits utilisés.
Que dire du port obligatoire du masque ? Les cinq prières journalières sont réparties dans la journée de 4h30 à 23h00 (environ). Des fidèles qui n’auraient pas suffisamment de masques seraient tentés par l’utilisation problématique d’un même masque pour plusieurs prières.
Notre premier message aux musulmans de France date du 2 mars 2020. Nous y avons insisté sur le respect des gestes barrières et conseillé aux personnes vulnérables notamment aux personnes âgées de prier chez-elles. Après avoir constaté que celles-ci continuaient de se rendre dans les mosquées et que les imams avaient du mal à les dissuader, le CFCM a émis un deuxième puis un troisième avis le 12 et 13 mars 2020 pour demander la suspension de la prière du vendredi puis la fermeture des mosquées.
S’agissant de Ramadan, dès le 23 mars 2020, le CFCM a avancé plusieurs arguments pour maintenir les lieux de culte fermés même dans le cas d’une éventuelle reprise des cérémonies religieuses dont la difficulté de mettre en place un système efficace permettant de réduire les effectifs et la difficulté de convaincre les personnes vulnérables et notamment les personnes âgées à rester chez-elles.
La situation des pays musulmans qui ont décidé la fermeture de leurs mosquées pendant tout le mois de Ramadan malgré la faiblesse de leur nombre de contaminations, nous a servi aussi d’argument.
La référence à ces pays et non aux autres cultes de notre pays nous paraissait plus pertinente pour le cas des mosquées, étant convaincus que les situations des différents cultes ne sont pas tout à fait comparables.
Aujourd’hui, je constate à mon grand regret un glissement vers une forme de comparaison avec les autres cultes qui n’a pas lieu d’être.
Un consensus s’était établit au sein du CFCM pour reprendre les cérémonies religieuses d’une manière progressive quand les conditions de sécurité sanitaire seraient remplies. Cette reprise ne pouvait avoir lieu à l’occasion d’un grand rassemblement tel que la prière de vendredi ou la fête de l’Aïd. Ce n’est pas parce qu’un culte, au demeurant souverain dans ses décisions et son appréciation de la situation, décide d’anticiper sa reprise d’activité que nous devrions adopter la même posture.
Depuis l’annonce de reprise de la scolarité le 11 mai, les mairies ont commencé à établir les listes des enfants concernés pour respecter les effectifs de moins de 15 ou moins de 10 selon les cas. Faute d’avoir pu tout préparer, certaines mairies ont été contraintes de différer la rentrée. Aujourd’hui, qui des responsables des mosquées est en mesure de faire ce travail de listes ne serait-ce que pour les prières journalières ?
Avant d’envisager une reprise des cérémonies, il nous faut trouver des solutions à toutes ces difficultés évoquées. Certaines de ces solutions supposent une circulation faible du virus et appellent donc à différer la reprise au-delà du mois de juin 2020.
Le culte musulman s’honore d’avoir fixé un principe directeur immuable qui donne la primauté à la vie face à toute autre considération et de le respecter en toute circonstance en s’appuyant uniquement sur son appréciation éclairée par les avis médico-scientifiques et sur ses moyens et ses capacités à garantir la sécurité sanitaire de ses fidèles.
La date du 2 juin 2020 fut fixée par les pouvoirs publics pour qu’une reprise des activités religieuses puisse commencer après toutes les grandes fêtes religieuses. Nous partageons cette vision prudente et réaliste. Étudier la possibilité de la réviser dans le sens d’avancement ou de report n’est pas une aberration en soi. Toutefois cette révision doit s’appuyer sur des critères d’ordre sanitaire indépendamment des revendications des cultes.