De quoi les gilets jaunes sont-ils le symbole?

3 février 2019 à 18h58 par Anadolu Agency

Qui aurait imaginé, il y a quelques mois à peine, que la France connaîtrait un tel séisme populaire ? Né sur les réseaux sociaux, le mouvement des « gilets jaunes » a organisé sa première grande journée de mobilisation le 17 novembre. Depuis, chaque samedi, des milliers de citoyens se retrouvent dans les rues des grandes villes du pays pour faire entendre leurs voix.


Si à l'origine, la grogne s'élevait contre la hausse des prix des hydrocarbures, elle s'est rapidement étendue à d'autres revendications notamment concernant les niveaux de salaires, les lacunes du système de santé, les manques de moyens octroyés à l'éducation, ou encore le pouvoir d'achat en berne. Le gouvernement français a, dans un premier temps, minimisé l'ampleur du malaise. Le Premier Ministre Edouard Philippe, qui avait déclaré dès le 18 novembre à la télévision française que « ce n'est pas quand ça souffle qu'il faut changer le cap » a du rapidement réadapter son discours. Depuis, de nombreuses manœuvres ont été tentées pour éteindre l'incendie. Le chef du gouvernement a fini par annoncer, début décembre, la suspension de la hausse des taxes sur les carburants prévue en 2019. Le président de la République a dû, lui aussi, intervenir pour s'adresser aux Français le 10 décembre dans une allocution solennelle de 13 minutes retransmise en direct sur la plupart des chaînes de télévision. Majoration de 100 euros mensuels à tous les bénéficiaires du salaire minimum (Smic), suppression de la hausse des cotisations sociales sur les retraites inférieures à 2000 euros, défiscalisation des heures supplémentaires, sont les principales mesures annoncées par Emmanuel Macron et jugées toujours insuffisantes malgré un coût estimé à plus de 10 milliards d’euros. Le budget de l’Etat n’est pas le seul à être impacté par la poursuite du mouvement. Le secteur hôtelier et les commerçants des grandes villes accusent des pertes de chiffre d’affaires vertigineuses. Les professionnels du tourisme ont eu à déplorer une baisse de 50% de leurs réservations notamment dans les établissements parisiens durant l’a périodes des fêtes de fin d’année. Des début décembre, le ministre de l’Economie avait déclaré en conférence de presse que le mouvement était « une catastrophe pour l’économie ». De son côté, l’Association nationale de l’Industrie a déploré à la même période un manque à gagner de 13,5 milliards d’euros, avant même les épisodes les plus violents des manifestations. La banque de France a annoncé en décembre avoir revu ses prévisions de croissance en les estimant à 0,2% contre 0,4% initialement projetés. La réponse politique a été trop longue à venir et le mouvement a eu le temps de se renforcer, d'étendre ses revendications et surtout, de se confronter à une répression sans précédent durant les manifestations. - De quoi les « gilets jaunes » sont-ils l'illustration ? Dans un blog hébergé par le journal Le Monde, Luc Rouban, professeur à Sciences Po Paris et directeur de recherche au CNRS a donné son analyse sociologique sur le sujet. Il estime que « le point commun à beaucoup de [gilets jaunes] est le déclassement social ». Ce sont principalement des citoyens « confrontés à la pauvreté, aux fins de mois difficiles, et à la précarité ». Le sentiment de déclassement social est nourri par la politique d'Emmanuel Macron, pour qui « les plus diplômés, les plus satisfaits de leur parcours social et les plus optimistes quant à leur avenir » ont largement voté, rappelle Luc Rouban. Ce dernier, qui réalise également des recherches en sociologie, note par ailleurs que le président français est « le premier représentant d'un système qui existe depuis longtemps » et qui met en lumière les « premiers de cordée ». Les « gilets jaunes » même s'ils sont issus de bords politiques souvent très différents, pouvant venir de l'extrême gauche comme de l'extrême droite, rassemble autour de mêmes thématiques grandement liées au déclassement et à la précarité. A Nice, Mélanie, 23 ans, s'est confiée au correspondant d'Anadolu. Cette mère d'un enfant de 2 ans dénonce un « matraquage fiscal sur les plus en difficulté » et souligne que « la première mesure phare du président Macron a été en faveur des plus riches puisqu'il a supprimé l'impôt sur la fortune » tout en « demandant aux plus pauvres » de financer la transition écologique par la hausse des taxes sur le carburants. Ce « mépris » dénoncé par nombre de manifestants s'illustre par les mesures politiques mais également par une répression inédite du mouvement sur le terrain des manifestations. - Un bilan teinté de violenceDepuis la naissance des « gilets jaunes », de nombreuses violences policières ont émaillé les cortèges de manifestations. Les chiffres font froid dans le dos et c'est la première fois qu'un mouvement social connaît un tel bilan dans l'Hexagone. Le documentariste David Dufresne est mobilisé sur le sujet depuis des semaines. Il recense et catégorise toutes les blessures et violences policières commises en marge des manifestations. Selon un dernier bilan qu'il a publié vendredi 25 janvier sur le média indépendant « Mediapart », il y a eu 337 signalements. 149 personnes ont été blessées à la tête dont 17 ont perdu l'usage d'un œil. 4 manifestants ont eu la main arrachée par des grenades lacrymogènes. A Marseille, une octogénaire est décédée après avoir, elle aussi, été touchée par une grenade lancée par les forces de l'ordre. Sur la totalité des blessés graves, David Dufresne a recensé 273 manifestants, 46 mineurs, 15 passants, 14 journalistes et 2 membres d'équipes médicales. Si les médias traditionnels et les politiques se sont emparés de ce sujet depuis les dernières semaines au vu de la gravité des blessures et de leur nombre, David Dufresne rappelle que « ces pratiques (…) et ces méthodes sont en gestation depuis une quinzaine d'années dans certains quartiers». Interrogé à ce sujet par « France Culture », il estime que depuis la mort de Malik Oussekine en 1986, tué par des voltigeurs de la police nationale, « la menace a changé mais la police n'a pas changé ». La journaliste et militante Rokhaya Diallo salue, à ce titre, le travail effectué par David Dufresne pour sensibiliser sur les violences policières. Dans un entretien accordé à Anadolu, elle explique que « de nombreuses personnes en France ont pris conscience des violences policières alors qu'elles n'avaient jamais été exposées à ce type d'agissements ». Selon elle, « c'est précisément sur ce point que les revendications des gilets jaunes peuvent rejoindre celles des quartiers populaires ». Elle déplore, toutefois, le fait que « lorsque les quartiers populaires se sont révoltés contre l'insécurité institutionnelle, il n'y a pas eu d'expression d'empathie par rapports à ce qu'éprouvaient les habitants de ces quartiers ». Pour Rokhaya Diallo, « ce pourrait être la jonction entre deux formes de colère manifestées par des populations qui sont marginalisées ». Selon les chiffres officiels du ministère de l'Intérieur, 81 enquêtes sont en cours au sein de l'Inspection Générale de la Police Nationale pour déterminer les circonstances dans lesquelles certains faits de violences ont été commis par les forces de l'ordre. Le journal Libération a, de son côté recensé 6475 interpellations, 5339 gardes à vue et 213 incarcérations dans un dernier bilan diffusé à la mi-janvier. Parallèlement à l'approche menée sur le terrain pour contenir le mouvement, le défi pour le gouvernement reste de réussir à éteindre la protestation en y apportant une réponse qui soit politique. - Le grand débat a-t-il un impact sur la mobilisation ? Emmanuel Macron a voulu ouvrir un « grand débat » national ». Ainsi du 15 janvier au 15 mars, les citoyens pourront émettre des propositions et ouvrir le dialogue avec les institutions pour tenter de trouver des solutions à cette crise sociale. Si de nombreux « gilets jaunes » réclamaient d'être entendus pas le gouvernement, sur le terrain, la mobilisation ne semble pas faiblir. Ils étaient ainsi 84000 samedi 19 janvier, contre 32000 fin décembre ou encore 50000 le 5 janvier. Plutôt que de faiblir, le nombre de manifestants continue d'augmenter depuis les dernières semaines. L’acte XI de la mobilisation, qui s’est poursuivi 26 janvier, a, quant à lui, réuni 69000 participants, selon le ministère de l’Intérieur dont les chiffres ne tiennent pas compte de ceux mobilisés dans la soirée à Paris pour une déclinaison inédite du mouvement : « les nuits jaunes ». « Je ne compte pas du tout participer à ce grand débat » explique à Anadolu Maxime, membre du mouvement des « gilets jaunes ». Il estime que « cette initiative a été prise par Macron pour stopper les manifestations » et dénonce une « tentative de récupération ». « Le débat se tient sur les ronds-points et dans les cortèges depuis presque 3 mois. Donc, si le Président voulait vraiment nous parler, c'est là qu'il viendrait » lâche-t-il. La tâche s'avère compliquée pour Emmanuel Macron qui, malgré les mesures qu'il a concédées, ne parvient pas à s'attirer les faveurs de son peuple qui a décidé de s'emparer de la rue pour se faire entendre.